Chambéry vendredi, dimanche pleurera
Auteur : PHILIPPE BONHOMME
Hauteur : 1720 mm
Chapitre 1
les plombiers en fuite
Le colloque des
infirmières marseillaises devait commencer à 14h précises. C’était en substance
ce qu’indiquait le journal local. En fait, la réunion ne débuta qu’à 14h30.
Cela n’était
pas un fait gravissime en soi, je veux dire par là de nature à changer la face
du monde, car d’une part le monde n’a plus de figure et d’autre part, la
réunion se tenait à Chambéry et semblait concerner exclusivement les plombiers
gauchers. La grande salle municipale se tenait fièrement sur la place de
Chambéry, non loin de la gare, de l’hôtel et de la rue du même nom. Il faisait
chaud, très chaud, on se serait crû en octobre, si on n’avait pas été en mai ou
peut-être en décembre. La salle Frédéric François était pleine, de très vieux
papiers et de très jeunes gens.
Roger, d’un naturel très timide, sentit qu’on le regardait. Il
tenta de se couper soigneusement l’orteil avec une cuillère à café. C’était sa
façon bien à lui de se donner une contenance. C’est alors que Vanessa entra
dans la salle, par une petite porte, qui par un mécanisme extraordinaire
servait aussi de sortie de secours. La jolie rousse était grande et belle et
portait une longue robe bleue, mais distraite de nature, elle la portait
négligemment sous le bras, ayant totalement oublié de l’enfiler ce matin
là, laissant ainsi admirer son slip en
bois du Japon du Sud-Est et son soutien gorge du même métal qui semblait
d’ailleurs se demander ce qu’il pourrait bien soutenir, tant la belle était
plate. Mais belle. Quoique plate.
A quelques pas
de là, le commissaire ARIEN était fou de joie. En moins de deux minutes il
avait découvert son steak haché à la cafétéria. C’était un petit exploit car le
steak était particulièrement bien caché
derrière un rideau par les soins des responsables du restaurant qui
connaissaient son penchant pour les énigmes. Au moins, quand il riait comme un
enfant, il ne pensait plus à Camille. Il consulta sa montre et se dit
« Diantre ! » ce qu’il disait souvent en consultant sa montre et
dans certaines autres circonstances. L’homme se dirigea vers la tribune de la
salle aménagée en amphi pour la circonstance. Le commissaire ARIEN rajusta sa
veste verte sur son gilet bleu, prit un thon moins léger qu’il avait dans une
poche spéciale pour prendre la parole devant l’assemblée. « Mesdames et
Messieurs les plombiers gauchers, je vous demande une minute et 4 secondes
d’attention. Un crime atroce a été commis, si atroce que je ne peux en parler
maintenant, car cela pourrait causer des traumatismes irrémédiables à certaines
oreilles sensibles, et j’en ai vu 4 ou 5 de cette sorte dans la salle, mais
depuis ce jour là je m’attache, souvent à un arbre, mais toujours à trouver le
coupable. » Visiblement ému, le commissaire s’interrompit une heure ou
deux pour tousser puis reprit sans crier gare (on ne voit pas pourquoi il
aurait crié gare, d’ailleurs) « Le crime a été commis vers 14h, pense
t’on aujourd’hui, mais peut être plus tard, les experts ne sont pas formels. Il
est presque 15h, vous voyez donc le rapport étroit. Bon, il est vrai que
c’était l’année dernière à 300 km d’ici mais cette réunion, croyez-en mon
expérience, pourrait être une
couverture parfaite pour un habile meurtrier déguisé en plombier
gaucher. »
Dans les rangs
de l’assistance, un calme froid s’installa tranquillement. Chacun écoutait
attentivement le commissaire qui prenait parfois des intonations de grand
avocat.
« Qui soupçonnerait un criminel au
milieu d’une réunion de plombiers gauchers ? Je vous le demande ! Le
meurtrier, je suis autorisé à vous le
révéler à ce stade de l’enquête ne peut être ni un chat siamois ni un
crocodile, ni non plus un épicier analphabète ou un maçon croate, mais rien ne
s’oppose à ce que ce soit un plombier gaucher. Je vais donc devoir fouiller les
femmes et interroger les hommes. Il faut absolument, c’est primordial, et j’en
fais une affaire personnelle, retrouver l’assassin de Camille »
Un grondement
de protestation jaillit des 200 lèvres car il y avait une centaine de personnes
environ dans l’assistance publique. Roger , stupéfait, mais au fond si content
que l’on ne fasse plus attention à lui, avait décidé momentanément de cesser de
se couper l’orteil et comptait machinalement ses mains sur ses doigts, ce qui
semblait l’intéresser au plus haut point. Vanessa avait fait un nœud à son slip
de façon à se souvenir d’enfiler la robe bleue qu’elle portait toujours sous le
bras. Tranquillement.
Un par un, les
participants étaient invités à pénétrer dans le petit salon d’à côté et à
s’entretenir avec le commissaire ARIEN, assis derrière une petite table, ayant
chaussé ses lunettes et déchaussé ses chaussures de ville. Le premier à être
interrogé fût Bernard Busamille qui se mit tout de suite et simultanément à
table et sur la chaise et en colère :
« oui, et
bien tu les déboucheras tes oreilles avant de dire que c’est moi qui ai dit ce
que les mecs y disent. Parce que c’est pas moi qui ai dit : tiens, voilà
encore un flic »
Il faut dire
que les rares fois où Bernard Busamille ne citait pas un sketch de Coluche,
c’est qu’il s’inspirait d’un dessin de Gotlib. Il en fallait plus que cela pour
déstabiliser le commissaire ARIEN.
« ne vous inquiétez pas, j’interroge tranquillement tout le monde et tout
se passera bien, j’ai l’habitude. »
Bernard
Busamille ne manquait pas d’aplomb, pour un plombier gaucher moyen, et le
commissaire n’en manquait pas non plus, il en avait toujours un peu sur lui,
dans une poche spéciale que sa mère avait cousu patiemment le soir à la
chandelle à l’intérieur de sa veste. Bernard avait les poches et le front
dégarnis, mais ses yeux pétillaient comme un vieux champagne de 1912 dont on
aurait négligemment secoué la bouteille avant de faire sauter le bouchon.
« que
faisiez vous le 12 août 1997, à 15h30, demanda finement le
commissaire ? »
« rien !
rien, et justement je l’avais noté soigneusement sur un papier au cas où vous
ou l’un de vos congénères me le demanderiez. Sans blague ! merde… Par
contre, à 15h31, je laissais tomber mes lunettes dans la Loire »
Le commissaire
aurait pu relever que l’on ne dit pas « par contre » mais « en
revanche ». Il n’en fit rien, car il avait été absent du cours à l’école de commissaires le jour où
on avait étudié les « par contre » et autres « en
revanche » . En revanche, il avait assisté à tous les cours de
psychologie et sentit que Bernard Busamille, qui maintenant s’agitait avec
frénésie sur la table en dansant le hip-hop, voulait manifester par là que l’entretien
commençait à durer trop longtemps.
« c’est
bon, je vous laisse tranquille, j’en sais assez, retournez à vos gaucheries de
plombier gaucher, dit le commissaire d’une façon très adroite »
Bernard
Busamille, qui était athée, ne se fit pas prier, et décampa sur le champ
retrouver sa blonde Geneviève, laquelle avait soigneusement noté sur son bras
gauche de penser à étrangler son mari qui, selon elle, avait regardé un peu
trop fixement les formes de Vanessa. Personne n’ayant le temps d’expliquer à
Geneviève que c’est une question de testostérone, que les filles regardent
autant les mecs que les mecs les filles, mais elles le font discrètement car
elles ont une vision à 180 °, alors que les garçons ne trouvent pas le beurre
qui est devant leurs yeux dans le frigo.
La tension dans
le petit bureau était à son comble, au point qu’on fit venir d’urgence un
électricien chez les plombiers pour la mesurer avec précision. « 212
volts, dit l’électricien droitier, afin de mettre au courant le
commissaire » Cela sembla satisfaire l’homme qui enchaîna brutalement, se
tournant vers ROGER, qui venait d’entrer sur les mains dans la petite pièce.
« dites
moi donc une date au hasard, vous qui venez d’entrer sur les mains dans la
petite pièce. »
« le 5 mai
2028, répondit assez finement Roger »
Il y eut un
silence que l’on pourrait chiffrer en secondes si on en avait le temps.
« c’est une date dans l’avenir, rétorqua le commissaire d’un ton cinglant
et néanmoins perspicace. Vous vous projetez dans le futur, c’est une fuite en
avant. Vous refusez de vous plonger dans le passé, ce n’est pas
innocent. Donnez moi une autre datte. »
Roger se
contenta de lui apporter sans rien dire un plateau avec des dattes récentes
mais aussi de vieilles figues et de jeunes noix.
« vous
êtes très fort, Roger, « reconnut le commissaire, après un temps que
d’aucuns évalueraient à 12 secondes et 3 dixièmes.
« je
m’entraîne tous les matins, vous savez. Je me désaltère tout d’abord longuement
puis je soulève des haltères pendant 7 ou 8 heures »
« et
ensuite ? » aboya le commissaire
« ensuite
je m’arrête car ce n’est plus le matin, cela ne se justifie plus »
Le commissaire
ARIEN était bon, un bon ARIEN disait on un peu partout et même ailleurs, et il
eut pitié de Roger, qui , quoique tout seul avec le commissaire, était persuadé
qu’on le regardait . Sa timidité maladive était telle qu’il aurait même eu peur
de parler sur un stade de 35000 personnes, ou lors d’un journal télévisé de TF1
vers 20h15. Petit moment de silence que le commissaire décida de meubler à son
goût, un peu classique.
« J’ai
noté que nous sommes de la même hauteur, tous les deux », dit le
commissaire, pensant ainsi détendre l’atmosphère.
Roger brava sa
timidité. Il prit son élan et pour une
fois, rectifia les propos du commissaire « en français moderne, tel qu’on
l’apprend dans les meilleurs collèges de nos régions, on doit dire : nous
sommes du même auteur, tous les deux. D’ailleurs c’est bien vrai »
A cet instant
le commissaire un peu en colère se lança dans un monologue que l’honnêteté et
la décence interdisent de préciser davantage.
« ah bon,
se dit le commissaire dans sa Ford intérieure. Qu’entends-je par là ?
« Il dût se dire à l’évidence que par là il n’entendait pas grand chose
et ce fût la fin de l’entretien, même si le bon commissaire sentait que c’était
également la fin de tous ces tubercules légumineuses vertes qui font le régal
des fermes auberges alsaciennes ou aveyronnaises accompagnées de petites pommes
de terre légèrement croustillantes et caramélisées.
La bonté
d’ARIEN étant inversement proportionnelle à sa patience et à la racine carrée
de sa générosité, il sentit le besoin d’interrompre derechef tous les
interrogatoires. « laissez moi une heure ou deux, je vais prendre l’air,
continuez à vous interroger les uns les autres, voire même les autres les uns,
c’est de la dynamique de groupe. S’il vous reste du temps, vous
disserterez sur la phrase suivante : une bille remonte un plan incliné,
faites une enquête.»
Il sortit avec
l’air d’un prince que son valet vient de vexer en lui signifiant qu’il a mis sa
culotte à l’envers.
Vanessa entra à
la fois dans la pièce et dans une colère noire, car elle n’était absolument pas
raciste : « est ce qu’on peut me laisser le temps d’enfiler ma
robe ? c’est un monde, ça » « vas-y ma cocote, hurla timidement
Roger, tu ne vois pas que le commissaire s’est taillé alors qu’il parlait de ma
taille et de la sienne par voie de conséquence? » Vanessa nota la phrase
sur son bras gauche en se disant qu’elle réfléchirait à la portée de ces mots
obscurs un peu plus tard.
Dehors, on
était toujours à la fois en juin et en ville et le commissaire humait l’air de
Chambéry. « j’hume l’air, parlons au présent, rectifia t’il ».Il
parcourut au pas de course la rue principale, ne s’arrêtant que devant certains
magasins à la devanture attrayante. Son portable se mit à sonner.
« sûrement quelqu’un qui m’appelle, se dit le commissaire »
effectivement, c’était son fils Laurent
« tu n’as
pas vu mes papiers, demanda Laurent, j’en ai besoin si je me fais arrêter par
les flics »
« tu vois
ta tête ? et bien regarde en dessous, tu as ta chemise et dans la poche en
haut à gauche, tu as ta CNI sur laquelle il y a aussi ta tête mais qui n’est
pas un document obligatoire mais qui est bien commode pour justifier de ton
identité. On l’appelle carte nationale d’identité exprès pour ça, d’ailleurs,
sinon on l’aurait appelé autrement, tu penses bien »
Le commissaire
s’arrêta de parler surtout car son fils Laurent avait raccroché depuis 3
minutes, mais aussi car il aimait s’arrêter lui-même, c’est un excellent
entraînement dans ce métier de commissaire qu’il pratiquait depuis l’enfance.
Parfois il se demandait s’il n’était pas né commissaire ou alors pas né comme
ces poissons qui font la joie des enfants le vendredi à midi à la cantine de
Fouilly dans le Tiroir
« j’hume encore un peu puis je
rentre poursuivre mon enquête et le meurtrier » se dit-il. Les murs se
lézardaient joyeusement sur son passage, mais l’air était vivifiant ce jour là
à Chambéry, les bus passaient amicalement devant ARIEN, et le temps se
découvrait respectueusement à chaque fois qu’il arpentait un carrefour.
Lorsque le commissaire ARIEN revint au
local, il trouva Vanessa en train de se disputer avec sa copine Arielle, qu’il
jugea un peu lascive, avec sa jupe en spaghettis, à propos de ce qu’avait
réellement voulu dire Jésus quand il disait « aimez-vous les uns sur les
autres » (Isaïe,20-III)
Il ramena les filles à la réalité :
« je vais vous interroger
ensemble, comme cela vous pourrez continuer à vous disputer tout en répondant à
mes questions. C’est la meilleure solution » « cela nous convient
parfaitement », dit Arielle avec un accent québécois difficile à
retranscrire sur cette page. « elle veut dire que cela nous convient
parfaitement » traduisit Vanessa sans accent, d’ailleurs la phrase ne
comporte aucun accent.
« j’ai noté que vous portiez ce
matin une robe bleue mais sous le bras et non pas sur vous, ce qui suggère
l’idée que vous pouvez être légèrement distraite. Alors écoutez bien ma
question : se pourrait il que vous découpiez quelqu’un en morceaux par
inadvertance et que vous chassiez l’idée de votre esprit ? ou alors que
vous poignardiez distraitement une fille un soir de pluie ? »
Pour toute réponse, Vanessa éclata en
sanglots longs comme des violons, hoqueta en petits tas, puis se décida à
raconter son histoire.
« Au commencement du monde, à
l’heure où les dinosaures envahissaient la planète…. »
« tu pourrais sauter quelques
milliers d’années et en venir au fait ? « rugit Arielle, qui
commençait à mousser.
« tu as raison, je suis vierge,
c’est très important de le préciser à ce stade du raisonnement, et j’ai Neptune
en trigone avec Pluton aujourd’hui »
« je crois que le commissaire s’en
fout complètement, viens au fait, » hurla Arielle, qui commençait à
déborder
« C’est exact, Vanessa, dites moi
uniquement ce que vous avez fait dans la nuit du 12 août 1997 » trancha le
commissaire.
« C’était donc un lundi, et la
veille, qui devait être un dimanche ou quelque chose comme cela, j’avais fait
une course »
« désolé, Vanessa, mais le dimanche
on ne peut faire de courses, les magasins sont fermés »
« je n’ai pas dit que je magasinais,
je dis que j’ai fait une course, je suis une coureuse, comme Arielle, si vous
voulez »
Le commissaire voulait très bien, et
regardait la jupe en spaghettis et le petit haut en crépine de porc que portait
Arielle, sans remarquer que Vanessa elle aussi avait pris l’accent québécois.
« je suis coureuse à pied,
poursuivit Vanessa, et Arielle courait avec moi ce jour là, elle a parcouru 25
km en seulement deux heures, ce qui est très bien, mais elle a été disqualifiée
car la course ne comportait que 21 km, c’était un semi marathon, d’ailleurs.
Comme c’était une course officielle, il y a au moins 350 personnes qui nous ont
vues, y compris le maire et tous les notables de St Zacharie, car la course se
déroulait dans cette commune. »
« C’est bon, je vous remercie toutes
les deux de votre collaboration »
La plupart des suspects gauchers avaient
un alibi en béton. Le commissaire prit encore le temps d’interroger Christian
DUFER
« Que faisiez vous au jour dit,
dites ? »
« dites donc, vos questions sont
bizarres, pleines de non-dit. En fait, je réparais une tuyauterie à la Centrale
du Tricastin, et 15 personnes au moins peuvent en témoigner, dont Marie, mon
épouse qui ce jour là après avoir vendangé les vignes du voisin, a fait à
manger pour 212 personnes, nettoyé les vitres de toute la Centrale, et… »
« Bon, j’en sais assez, veuillez
vous taire » ARIEN partit se coucher à l’hôtel « Au lion d’or »
où il avait réservé une suite, composée d’un lit, d’un placard et d’un lavabo,
le tout entouré d’une épaisseur de placoplâtre qui faisait penser
irrésistiblement à du papier cigarette.
Chapitre
3
un personnage à la hauteur
Le lendemain, le jour se leva d’une façon
très bizarre, et le commissaire ARIEN entreprit une démarche qu’il préméditait
depuis longtemps déjà : rencontrer l’AUTEUR. Son auteur, quoi ! celui
qui devait écrire ces lignes, et qu’il connaissait assez mal. Souvent le
commissaire s’imaginait l’auteur, qui devait être un ours solitaire, ou alors
un play boy invétéré , ou un vieux moine hystérique. Bref, il ne savait pas du
tout comment s’imaginer celui qui l’avait fait naître, mais il savait ce qu’il
allait lui dire. Tout en se rasant devant sa glace, vanille-fraise, il se mit
en bouche les paroles qu’il comptait bien prononcer devant son
interlocuteur. »cela ne me satisfait pas ! je ne peux plus continuer
comme cela. » Rasé de frais (à cause de la glace), propre sur lui, il prit
la route et avant tout sa voiture et toutes deux le menèrent rapidement chez
l’AUTEUR. L’AUTEUR habitait dans une ville de 20000 habitants, 300 chats et 400
chiens, sans compter les perroquets, mais personne n’a jamais envie de compter
les perroquets. Il habitait une maison bizarre où l’on devait monter dans un
ascenseur immobile car il n y avait pas d’étage à desservir. L’auteur et
propriétaire des lieux devait tenir
pour son standing à ce que cette maison près de Marseille soit avec ascenseur.
Lorsque le commissaire ARIEN sonna, on vient lui ouvrir en moins d’une petite
heure. C’était l’AUTEUR, qui reconnut immédiatement son personnage et l’invita
à s’asseoir quelques minutes sur un arrosoir pour discuter un moment. « Je
vous sers a) la main b) un pastis c) à rien ? » demanda finement
l’AUTEUR . Prenant dès aujourd’hui son courage à demain, le commissaire prit
son élan et balbutia « voici ce qui m’amène, je voudrais que vous donniez
de l’épaisseur à mon personnage »
« comment cela, rugit l’AUTEUR, vous
n’êtes pas assez gros comme cela ? « il dévisageait le commissaire
avec l’air du flic qui vient de surprendre 1500 voitures garées en double file.
« ce n’est pas ce que je veux dire,
et d’ailleurs vous êtes tout à fait excusable si c’est votre premier livre,
mais cela me plairait d’avoir un peu de finesse, un peu de drôlerie, de plaire
au public qui s’intéresserait à mon enquête alors que j’ai l’impression que
vous me méprisez, d’ailleurs vous ne m’avez même pas donné de prénom »
En moins de temps encore qu’il n’en faut à une femme pour repérer
si un homme porte une alliance ou non, l’Auteur rétorqua : « bon, je
vais voir ce que je peux faire, reprenez votre personnage, et je vais tenter de
lui donner l’épaisseur souhaitée. »Il se leva, signifiant ainsi sans
contestation que l’entretien était terminé, et qu’il appréciait fort peu la
hauteur de ton de son personnage.
Le commissaire ARIEN repartit , quelque
peu rassuré à la fois d’avoir osé tenir tête à l’Auteur, et puis aussi par les
paroles de ce dernier. C’était réconfortant de savoir que celui qui vous donne
vie se charge de vous donner épaisseur et consistance. « Au fait, cria
l’Auteur, sur le pas de son ascenseur immobile, j’avais oublié de vous dire,
vous êtes Jacques »
Jacques passa une excellente nuit, très
content en fait de s’appeler Jacques et le lendemain ordonna de réunir tout le
monde dans la grande salle de conférences , puis réclama le silence.
« je vous dois quelques
explications, dit-il, car effectivement je ne vous ai rien dit du meurtre qui
motive mon enquête. » Tout un petit monde se suspendit vaillamment aux
lèvres lippues du commissaire.
Il prit une longue inspiration et
commença :
« Un jour, c’était la nuit
d’ailleurs, et Camille se demandait si elle allait boire un thé tout de suite
ou dans 5 minutes. Seule dans la grande maison, elle avait du mal à dormir. Ce
n’est pas le thé qui allait arranger les choses. Alors elle se dit qu’un bon
bain lui ferait du bien. Elle ne verrouilla pas la porte de la grande salle de
bains, à quoi bon, elle était seule. Au rez de chaussée, la grande porte
d’entrée était fermée de l’intérieur. 23 heures. S’il y avait eu des voisins,
ils auraient entendu un cri déchirant dans la nuit. Le lendemain matin, vers
11h30, le facteur trouva porte close et cela l’intrigua. La police dût faire
appel à un serrurier pour ouvrir la lourde porte d’entrée, toujours fermée de
l’intérieur. Toujours est il que dans la salle de bain on trouva Camille
poignardée sauvagement. Elle avait les yeux ouverts, le poignard entre les
seins, et l’eau du bain déjà toute rouge. D’après la trajectoire du poignard,
les experts déclarèrent qu’il s’agissait d’un gaucher. Elle ne semblait pas
avoir souffert, comme si la mort l’avait surprise dans son bain. Son visage
était calme et reposé. On ne lui connaissait pas d’ennemis. Elle semblait
connaître son agresseur, on peut le supposer. Camille, 24 ans, était la fille
d’un riche importateur de triangles isocèles grecs qu’il revendait en Croatie.
Il était donc toujours en déplacement. La mère était morte quelques années
auparavant à Lyon, et Camille refaisait sa vie, prenait des cours de comédie et
de danse et aux dires de ceux qui la connaissaient un peu menait une vie tranquille.
Elle était jolie, assez grande, un peu une fille sans histoires. Jusqu’à ce
matin là. »
Un silence s’installa dans la grande
pièce. Pesant.
Ce fût Vanessa qui le rompit, en lançant,
un peu comme on lance un emprunt : « finalement, le crime profite à
qui ? »
« à personne, au premier abord, et même
au deuxième rabord. rien n’a disparu dans la maison, ni bijoux, ni argent,
répondit le commissaire, rien n’a été déplacé, et surtout la porte d’entrée n’a
même pas été ouverte. »
« mais au fait… « s’enquit
Roger. Immédiatement, les yeux se tournèrent vers lui, et le timide se mit à
rougir. Le commissaire se prit à penser que ce genre de timide devait être
incapable d’offrir des fleurs à une femme, de déclarer sa femme aux impôts, sa
flamme à une femme pompier. C’est pour cela qu’il les viole, se dit-il, avant
de se rendre compte que sa supposition était gratuite. « vous avez raison
de dire mais au fait, Roger, bien entendu nous avons pensé aux empreintes
digitales. Sur le manche du poignard il n y avait plus aucune empreinte, comme
s’il avait été soigneusement essuyé. »
L’atmosphère était pesante, et chacun
comprit que ce mystère hantait à ce point le commissaire qu’il s’était juré
d’éclaircir la chose. Un peu comme si c’était son métier. D’ailleurs, c’était
son métier. « pour conclure, je dirai qu’elle n’avait pas fait de
testament, et que toute la fortune des triangles isocèles ira à la mort de son
père à l’APM, c’est à dire à l’association des profs de maths.
Machinalement, il envoya un SMS à son
fils Laurent : » rappelle –moi qui tu es, s’il te plait » deux
minutes après, la réponse, précédée d’un extrait de la 9° symphonie de
Beethoven joué sur une cloche d’église (le plus facile des instruments à
corde) : « Laurent » disait Laurent, ce qui rassura le commissaire.
Cette nuit là, le commissaire ARIEN, Ar
pour les intimes qu’il n’avait pas, et Jacques pour ceux qui ont lu les pages
précédentes, dormit peu et dormit mal. Un peu comme si tous les protagonistes
défilaient devant lui dans une folle sarabande. Il repensait souvent à Camille,
la blonde assassinée, pour quoi, pour qui ?
De drôles de pensées tournaient dans sa
tête. Quel rapport pouvait il y avoir avec Roger ou avec Vanessa ?
Pendant la nuit, ne pouvant trouver son
sommeil, il tournait en rond dans sa chambre carrée, il refaisait le monde, qui
en a bien besoin, c’est vrai. Il repensait aussi à l’Auteur, l’imaginant devant
son clavier d’ordinateur, refaisant à sa guise le monde lui aussi, mais le
monde des personnages. Il pensa même que l’Auteur se cachait dans la salle pour
le surprendre et enfin tout savoir de son épaisseur.
Maintes fois, il était retourné dans la
maison du crime, et s’était trouvé toujours confronté au même problème. Camille
n’avait pas d’ennemis, pas de famille non plus, la porte était toujours fermée
de l’intérieur, personne n’avait donc pu entrer ni sortir, et cependant, elle
était morte.
Il réalisa soudain que l’Auteur, celui
qui tire les ficelles, avait oublié de mettre un peu d’humour dans les quelques
lignes précédentes, alors il tenta une pirouette, un trait d’humour, mais rien
ne vint. Il y a des jours où même l’humour se cache et se dissimule, et croyez
moi cela ne présage rien de bon.
Le lendemain, le commissaire ARIEN se
décida à partir dans la région de Marseille rencontrer l’Auteur pour lui
soutirer quelques infos intéressantes . Il quitta Chambéry vers 11h12 ce
jour là, au volant de son AX à la couleur très indéfinissable, sauf avec une
grande habitude, ou pour un expert en peinture de la Renaissance en Italie du
Sud. Deux petites, toutes minuscules heures après (elles ne faisaient en fait
que 53 minutes, tout au plus), Jacques arriva dans cette ville caractérisée par
deux éperons rocheux et un tribun célèbre qui disait « nous sommes ici par
la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des
baïonnettes ». Au pied d’un moulin, une petite maison écrasée de soleil se
détachait dans la montagne. Sauf que ce jour là, il pleuvait et la maison était
écrasée de pluie. Le commissaire ARIEN monta 4 à 4 les trois marches, ouvrit la
porte de l’ascenseur immobile et se glissa dans le couloir que l’Auteur avait
finement baptisé « 16 », c’est à dire « très étroit ». Au
bout de ce couloir inutile et interminable, une autre porte, celle-ci fermée à
clef à simple tour. L’Auteur se plaisait à répéter « à quoi cela sert de
fermer à double tour, est ce que c’est deux fois mieux fermé ? »
Il tapa discrètement avec une hache.
L’Auteur arriva d’un pas léger, ouvrit la porte dans le sens rétrograde afin de
laisser pénétrer le commissaire. « venez, j’étais certain que vous alliez
vous pointer ici un jour ou l’autre, mais je pensais que ce serait plutôt
l’autre. »
« Vous savez, je viens un peu aux
nouvelles, car je patauge un peu avec le meurtre de Camille, vous avez bien un
tuyau »
« ma tuyauterie est en parfait état
de marche, mais je vais tout d’abord faire un tour de carte ».
Effectivement, l’Auteur déposa sur le sol une carte Michelin de la région, et
fit un tour autour de ladite carte, sans proférer la moindre incantation. Il
déplia ensuite la carte et montra au commissaire le village de
Vernillon-Foncoux, situé dans le Lubéron et dans la partie gauche de ladite
carte. « A l’entrée du village, la maison de Camille. Il y avait toujours
des amis chez elle, j’étais fier d’en faire partie d’ailleurs, et nous étions
toujours invités permanents dans la grande maison. Camille d’ailleurs aimait
être en bonne compagnie et n’était jamais seule, sauf ce soir là…. En fait,
elle n’était pas seule puisque son meurtrier était là , le problème c’est que
l’unique porte d’entrée, qui par un mécanisme spécial servait aussi de porte de
sortie est restée fermée de l’intérieur par un loquet vertical que l’on
abaissait et qui tombait dans une gorge, bloquant hermétiquement la
porte. »
« qui étaient ses amis ? »
osa Jacques.
« des gens d’un bon milieu, plutôt
BCBG, des étudiants riches, des artistes, des coureurs de marathon, une psy, aucun ne ressemblant de près ou
de loin à vos plombiers gauchers. On sent très bien que ce sont deux mondes
opposés. »
« vous avez parlé d’une psy, qui
est-elle ? »
« c’est aussi une de mes amies,
d’enfance d’ailleurs, car moi qui vous cause, j’ai eu une enfance, et elle se
nomme, pas mon enfance la psy, Noëlle »
« puis je la
rencontrer ? » re-osa Jacques, qui sentit deux doigts d’agacement
dans la main de l’Auteur qui malaxait un jeu de cartes en lui faisant faire des
fioritures aussi inutiles que complexes. L’Auteur lâcha : « oui, vous
pouvez rencontrer Noëlle à son cabinet, en la choisissant comme psychothérapeute,
même si cela ne dure pas, vous pourrez partir à tout moment. »
« je suppose qu’elle a été votre
psychothérapeute dans le passé ? « tenta le commissaire, se rendant
compte que les mots troublaient un peu l’Auteur qui répliqua : « vous
savez, premièrement, il n’est pas habituel que le personnage, fût il principal,
entre en relation avec des relations de l’Auteur, c’est un mélange de réel et
de virtuel qui fait qu’au bout d’un temps petit t ou parfois grand T, on ne
sait plus qui on est, si on vit ce qu’on lit ou si on lit ce qu’on vit. Pour
répondre à votre question, que je n’ai pas oubliée, bien entendu qu’elle n’a
jamais été ma psychothérapeute, car nous sommes trop liés, et donc elle n’a pas
le recul nécessaire , elle ne pourrait être un ectoplasme , sans vouloir
l’insulter. »
Jacques nota l’adresse : rue de la
montagne, à La Plaine, un quartier de Marseille bien connu, curieusement
surtout des Marseillais, et très peu des spiripontains, les habitants de Pont
St Esprit.
Ayant acquis de l’auteur un peu
d’épaisseur et de finesse, Jacques comprenait que son personnage s’étoffait au
contact de son créateur, dans une folle dialectique qui faisait que l’auteur
s’enrichissait lui aussi au contact de son avatar.
Comme l’auteur lui avait dit en prenant
congé : « et le bonjour à votre épouse », Jacques ARIEN comprit
qu’il était désormais doté d’une épouse, ce qui lui parût bien commode et bien
agréable, et nota sur son calepin de découvrir le personnage de l’épouse, et de
faire son enquête pour savoir si la belle (elle ne pouvait être que belle)
était coupable ou non du meurtre de Camille. Il imagina l’auteur, penché sur
son ordinateur, pondant le personnage de l’épouse du commissaire, car cet
auteur là (d’ailleurs, le personnage ne connaissait aucun autre auteur que LE
sien) aimait pondre, parlait toujours de pondre, un peu comme si quelqu’un de
sa famille avait fréquenté une poule ou plusieurs gallinacés.
Chapitre
4
Jacques
et la psy causent
Tout en montant l’escalier de chez la
psychologue, Jacques se dit qu’il n’avait jamais effectué pareille démarche,
qu’elle allait le juger, le cataloguer, le condamner. Certes, il avait demandé
de l’épaisseur, de la consistance, mais pas au point de se retrouver avec des
névroses et des complexes. Lorsque la porte s’ouvrit (probablement que
quelqu’un l’avait ouverte de l’intérieur, vraisemblablement Noëlle qui apparut
dans l’entrebâillement) il se dit que dans le fond, une psy pouvait être comme
tout le monde, avec un nez une bouche, et une chevelure rousse cachant un
cerveau planant à 500 m au dessus du commun des mortels.
« bonjour ! dit-elle, et
finalement, si on y réfléchit quelque peu,
c’était le mot le plus approprié. On sait que les psy cherchent souvent
des connotations erotico-psycho sensorielles à rémanence rétroactive pour
exprimer des choses toutes simples, mais ce bonjour là était le mot le plus
adéquat et le plus subtil, ce qui fit penser à Jacques, mais il n’en montra
rien, que Noëlle était fine et subtile, et dotée d’un esprit de synthèse très
puissant. Ensuite ses yeux dévisagèrent le commissaire, spécialement le gauche,
pendant que le droit ne disait plus rien. C’est comme si le commissaire ARIEN
avait étalé tous ses fantasmes sur la table, toutes ses turpitudes sur le
fauteuil près du téléphone, il se sentait tout nu devant LA psy.
« asseyez vous, ou allongez vous,
c’est égal, dit la praticienne . P…. m’a parlé de vous, de ce que vous
désirez savoir, et je vais vous dire ce que je sais à propos de Camille. »
« ainsi donc, se dit Jacques dans sa
Ford intérieure, l’Auteur s’appelle P point de suspension, ce qui est un sacré
drôle de nom, enfin un nom d’Auteur, pas plus étonnant mais moins sympa que
Victor Hugo ou Guy de Maupassant »
« Camille était mon amie, je veux
dire par là que je la ressentais comme telle, même si mes sens peuvent s’abuser
d’une relation non exempte de transferts complexes et quasiment oedipiens que
je me dispense d’analyser car je ne suis pas payée pour cela. »
C’en était fini de la concision, de la
merveilleuse concision du bonjour qui avait débuté l’entretien. Noëlle sentit
que son interlocuteur ne captait déjà plus, un peu comme un téléphone portable
lorsque vous passez dans un tunnel, et effectivement Jacques était dans un
tunnel par rapport à cette enquête, et sentait que l’auteur, le fameux Ppoint
de suspension pouvait
s’apprêter à écrire un livre de 500
pages. Pendant tout l’entretien, la psy jouait avec un trousseau de clés,
maintenant une des clés verticale et s’entraînant à la faire tomber au niveau
des autres. Ce geste répétitif agaça un peu Jacques, mais il pensait que cela
faisait partie du travail psychanalytique à accomplir, et que tous les
renseignements glanés feraient avancer l’enquête.
« En fait, Camille avait du mal à se
positionner dans la vie, et c’est souvent le cas chez ceux qui ont des prénoms
mixtes, comme Claude ou Dominique. Elle doutait d’elle même et se sentait
incapable d’actions souvent très simples. Je veux dire par là qu’elle était
prête à payer ce qu’il fallait pour faire venir quelqu’un dont c’est le métier
qui fasse l’action à sa place. Cela faisait peur aux garçons qui ne la
fréquentaient pas beaucoup, alors que Camille était plutôt jolie. «
Plutôt jolie. Le commissaire se dit que
lorsqu’on dit plutôt jolie, c’est restrictif, et cela veut presque dire qu’elle
était moche.
« en fait, Camille était venue me
voir au départ pour une psychothérapie, et pour des raisons pratiques, et
d’éloignement de son domicile, cela n’avait pas été possible. Mais nous étions
restées très liées.
C’est le genre de fille dont on se dit
que personne ne pourrait avoir le moindre intérêt à la tuer.
Mais vous, Jacques, vous permettez que je
vous appelle Jacques, expliquez moi en quoi ce meurtre vous fascine et pourquoi
alors que d’après ce que m’a dit l’auteur, l’affaire a été classée, pourquoi
vous tenez tant à trouver la solution de l’énigme ? »
Le commissaire permit qu’on l’appelle
Jacques. N’expliqua rien de spécial. Repartit de Marseille sans en savoir plus.
Mais il se dit qu’à l’occasion il retournerait à Marseille, dans ce quartier de
La Plaine voir cette psy rousse.
Pendant la nuit, Jacques ARIEN pensait à
celle qu’il appelait déjà Noèlle , alors qu’elle s’appelle en réalité Noëlle,
mais c’est assez voisin. Il se répétait inlassablement les mots qu’elle avait
prononcé, cherchant à y déceler une piste. Jacques tournait en rond comme un
ours en cage dans sa chambre carrée, certain que la psy allait lui apporter un
élément décisif.
Il s’endormit au petit matin sans avoir
trouvé. En se réveillant, il entreprit de se raser avec une cuillère à café.
Soudain, ce fût l’éclair si fulgurant qu’il faillit se couper, ce qui est très
difficile avec une cuillère à café. « Bon sang, mais c’est bien sûr »
se dit il car il connaissait ses classiques. Il s’assit sur le lit pour se
faire part à lui même de ses découvertes. « tu vois, Jacques, ce n’est pas
dans ce qu’a dit Noëlle qu’il y a un indice mais dans le fait qu’elle jouait
sans arrêt avec ses clés, en maintenant une verticale, en équilibre, avant de
la laisser retomber parmi les autres. Et alors ? dis tu, mais Jacques,
c’est hyper important. Tu ne vois pas le rapprochement ? Comment ferme la
porte de Camille ? une pièce de fer au départ verticale et que l’on amène
en position horizontale où elle est coincée et bloque la porte, c’est pour cela
que nous avons affirmé que la porte était fermée de l’intérieur. Seulement,
imagine un peu. On place la pièce de fer en équilibre instable vertical. On
referme très très doucement la porte. Lorsqu’il ne reste plus qu’un millimètre,
on ferme d’un coup très sec, et le morceau de fer intérieur tombe dans son
logement, laissant penser que la porte est fermée de l’intérieur. Aucun
mécanisme n’est accessible par l’extérieur, mais dans ce cas de figure, la
fermeture soi disant de l’intérieur est possible, même si la personne a
certainement recommencé trois ou quatre fois l’opération, dans les premiers
cas, la pièce de fer retombant un peu trop tôt à l’extérieur de son logement.
Le meurtrier est donc parti
tranquillement après avoir soulevé avec un gant la pièce de fer. C’était trop
simple. Beaucoup trop pour qu’on trouve la réponse rapidement.
Bien entendu, cette avancée n’apportait
guère d’éléments nouveaux sur la personnalité de l’assassin : ce pouvait
être aussi bien un collectionneur de sucres qu’un plombier ou un magicien, mais
Jacques savait déjà comment il était sorti en faisant croire que la porte était
fermée de l’intérieur et que donc Camille s’était suicidée. D’ailleurs, aussi
bien, le meurtrier était peut-être venu le matin, avant le passage du facteur.
Cette nuit là, Jacques dormit du sommeil
du juste, si tant est que le juste ait un sommeil juste un peu particulier. Au
petit matin, il marcha dans les rues jusqu’à la salle où il attendit tous les
plombiers gauchers. Il savait bien que tout le monde a un alibi, et cela le
mettait un peu en colère. Chacun avait été vu en dehors du lieu du crime à
cette heure là, et parfois même par 350 personnes , c’était le cas pour les
deux coureuses.
Alors qu’il était à moins de 50 m de la
porte de la salle Frédéric François, ainsi appelée car François Valery n’était
pas libre, Jacques le commissaire est rattrapé par une fille qui lui dit :
« Je suis Christelle, je suis Christelle ! » « Enchanté,
répond poliment Jacques » « je suis ta femme, Jacques, « dit
elle simplement. L’intéressé regarda attentivement le résultat de la ponte de
l’Auteur. Une fille assez grande, avec de très très longs cheveux bruns, qui
arrivaient au niveau du bas de la jupe, par ailleurs assez courte. Sur cette
jupe, il y avait marqué en bas : bas de la jupe, et pour coordonner le
tout, sur le haut mauve, il y avait marqué en tout petit, sous la
poitrine, « si vous pouvez lire ceci, c’est que vous avez une excellente
vue mais vous êtes nonobstant cela, un peu trop près de moi »
Bref, Jacques se dit qu’il faudrait
penser à remercier l’Auteur de lui avoir fabriqué une compagne croustifondante
(ne cherchez pas dans aucun dictionnaire, je me comprends) et probablement
intéressante. Et la croustifondante de prendre la parole : « tu sais,
Jacques, je dois te dire que dans les couloirs certains te nomment
affectueusement AC et non Jacques. C’est sympa, mais je ne sais pourquoi, le
nom AC ARIEN fait un peu microbien quelque part. D’autre part, je peux te
révéler ce que je sais de par l’Auteur dont je suis l’une des copines : Je
ne suis pas la meurtrière, ce n’est pas toi non plus l’assassin, et il te donne
encore 5 pages au maximum pour le trouver. »
Jacques ne savait plus quoi dire à la
belle Christelle envoyée non pas du Ciel mais de l’Auteur. Il réunit encore tous
les suspects et leur tint à peu près ce langage :
« Roger, Bernard, Vanessa, Arielle,
Christian, je suis certain d’après mes recoupements que le meurtrier est l’un
d’entre vous, et comme j’ai amené ma Roberval portative, je pèse mes
mots »
La réponse fut un tollé.
« oui, je sais, chacun d’entre vous
a un alibi parfait, … ah excusez moi, dit Jacques entendant sonner son
portable, et il crut bon d’ajouter : c’est mon portable »
« Allo, dit finement le
commissaire »
« C’est Laurent, ça y est, je sais
ce que je veux faire plus tard : je veux faire Bernard Tapie, mais la
question est : faut il faire MIAS puis MAS avant de faire MIAGE ou bien
alors MOS, puis MIOS avant de faire MIOGE ? »
« tu sais, je travaille, je suis sur
mon enquête on en parle ce soir à table »
« mais tu es parti depuis une
semaine »
« ah bon ? alors, parles en à
ta mère, je travaille »
CHAPITRE 5 : Mais que fait la
police ?
Note de l’éditeur : c’est l’Auteur qui d’un
coup a changé la police.
Jacques
ARIEN se dit qu’il fallait accélérer la recherche du coupable. L’auteur ne lui
laissait pas beaucoup de temps. « Roger, Bernard, Vanessa, Arielle,
Christian, et pourquoi pas Noëlle ? » les prénoms tournaient dans sa
tête, un peu comme dans une folle sarabande. Tous avaient un alibi, vérifié, et
contrôlé plusieurs fois. « cherchons celui dont l’alibi est le plus
fragile. C’est certainement Bernard, se dit –il. Après vérification, il n’avait
pas du tout laissé tomber ses lunettes dans la Loire, il était tout simplement
à Marseille, chez lui, et tous les voisins peuvent en témoigner. «
Bernard habitait de beaux quartiers, dans une belle maison. Tout cela tranchait
avec ses idées communistes et intriguait beaucoup le commissaire. Mais Bernard
n’aurait pas eu le moindre intérêt à tuer Camille. Alors le commissaire se prit
la tête à deux mains : « en fait, je me demande si j’ai bien l’esprit
neutre et lucide ou si je ne m’arrange pas en fait pour que le coupable soit
celui que je voudrais qu’il soit, enfin je me comprends.
En fait, Jacques réfléchit pendant au moins
trois jours, et trois nuits aussi, et à la fin, la folle sarabande des prénoms
tournait toujours dans sa tête. Lorsqu’il vit arriver Christelle, il se dit que
la solution pouvait attendre un peu. Justement, Christelle était vétue d’une
petite jupe bleue et d’un haut un peu court qui laissait entrevoir un des plus
ravissants nombrils que la terre ait connue. Sur le coup, Jacques se dit que ce
n’était pas convenable de dévisager sa femme comme cela, puis il se ravisa,
pensant au contraire que c’était normal. Mais Christelle éteint immédiatement
toutes ses ardeurs, un peu comme lorsqu’on jette une cruche d’eau sur un feu
qui a bien pris dans la cheminée.
«
Je t’ai laissé le temps de trouver le coupable, tu ne l’as pas trouvé encore,
alors je vais être obligée de t’aider »
« mais
tu sais, je crois bien que je suis sur une piste »
« non,
nous ne sommes pas au Sahara, tu sais également que l’Auteur t’avait donné un
petit délai, et il est dépassé depuis longtemps, non pas l’auteur, mais le
petit délai »
Jacques
ne lutta plus, il se mit à regretter mentalement le temps où il n’avait pas de
femme attitrée, et se tût.
« tu
sais, on va reprendre à zéro toute l’histoire. Camille n’avait pas peur de son
meurtrier, était ce le plombier qu’elle attendait ou alors un ami ou bien
encore les deux ?
On peut
même envisager que le plombier et l’ami soient la même personne ?
Jacques
regardait Christelle avec insistance. Savait elle quelque chose ? Comment
se fait il que les femmes ont toujours l’air de ne pas y toucher et savent en
fait beaucoup de détails que nous les hommes ignorons et ignorerons
toujours ?
« Je
relisais ton enquête depuis le début, dit Christelle, et je me demande si tu
vas dans la bonne direction. Tous les suspects ont un alibi, c’est impossible
qu’il n y en ait pas un qui ne se démonte pas complètement. »
Christelle
regardait alternativement la fenêtre, Jacques, le bout de ses cheveux à elle,
et semblait réfléchir intensément. « L’auteur m’a demandé de faire quelque
chose car tu as l’air de patauger. Commence par examiner ceux qui sont
insoupçonnables. »
« mais
ils le sont tous, insoupçonnables, avec un alibi en béton » murmura blasé
Jacques.
«
oui, mais qui a le meilleur alibi ? »
Christelle
semblait avoir une idée bien précise. Elle avait une étincelle dans le regard
qui finit par faire un peu peur à Jacques. « je veux dire, qui ne peut on
pas du tout soupçonner ? »
Jacques
réfléchit et lâcha : « il est impossible que ce soit Vanessa et
Arielle puisqu’elles ont fait une course à pieds bien connue, qu’il y avait 350
personnes, la presse, à l’arrivée, donc pour elles c’est impossible. »
Christelle
regarda intensément Jacques. « c’est vrai, et irrésistiblement on se
tourne alors vers d’autres suspects qui ont des alibis tout autant vérifiables.
Alors voici ce que j’ai fait, moi »
Elle prit
une grande inspiration et reprit.
« je
suis partie de l’idée de démonter l’alibi des plus insoupçonnables, Arielle et
Vanessa. C’était un pari dingue, mais j’ai tenté. Je suis allé à une course
équivalente à celle qu’elles ont couru, à savoir un semi-marathon, donc
légèrement plus que 21 km. Il y avait également des filles connues sur le plan
sportif, je les ai vues au départ, avec tous leurs amis et supporters, et
également à l’arrivée avec la foule qui les acclame. Mais sur le chemin, il n y
a pratiquement personne. A certains endroits, il y a juste la personne chargée
de guider à une intersection le groupe de coureurs. »
« je
te vois venir, interrompit Jacques, mais la foule des coureurs verrait bien
quelqu’un s’échapper »
« pas
du tout, chacun ne pense qu’à sa course, et ne sait pas si les deux filles sont
derrière ou devant. »
« mais
enfin, reprit Jacques, les officiels, les passants, les coureurs, quelqu’un
verrait bien si un coureur quitte la route tracée »
« pas
certain, et notamment auprès des ravitaillements car il y a pas mal
d’agitation, des enfants donnent des verres d’eau et des éponges, on ne
remarque rien. Je me suis fait remettre le tracé de la course, et j’ai bien
étudié mètre par mètre l’itinéraire. Suppose qu’au premier ravitaillement, en
buvant un verre d’eau, elles passent derrière le stand et très vite dans la
forêt toute proche. Même si quelqu’un remarque cela, il pensera à une envie
pressante. »
« oui,
mais nous sommes à St Zacharie, donc à 30 km du lieu du crime »
« suppose
qu’elles n’ont pas couru jusque là, mais que l’une des deux voitures les
attendait. En 20 mn, elles sont auprès de Camille qui ne se méfie pas, d’autant
qu’elles sont en basket, short et tee shirt. Elles la tuent, puis partent
rapidement, encore 20 mn et elles se garent non loin du troisième et avant
dernier ravitaillement. Scénario inverse, elles prennent un verre, ont l’air
très essoufflées et repartent en courant. Si quelqu’un remarque qu’elles arrivent
de derrière, il pensera à une envie pressante, les femmes s’éloignant bien
entendu plus que les hommes pour ce petit pipi légitime. »
« et
au niveau du temps passé ? »
« elles
ont calculé le temps nécessaire, presque une heure, et l’endroit où se refondre
dans la course, de façon à ce que cela soit très plausible. Elles ont mis
autour de 2h10 ce qui est très bien pour un semi marathon. »
« je
vois que tu as pensé à tout. Comment font les filles pour penser à
tout ? » reprit Jacques
« tu
vois, c’est inné chez nous, dit Christelle. »
Quelques
jours plus tard, l’auteur reçut Christelle et Jacques. Il semblait déridé
autant que débridé. « Je suis atteint d’une soif inextinguible que je vais
de ce pas étancher en votre compagnie. »
« tu
vois, souffla Christelle, ces auteurs ne peuvent vraiment pas parler comme tout
le monde »
« les
amis, reprit l’auteur, je voudrais vous féliciter tous les deux pour
l’arrestation de Vanessa et Arielle. L’enquète a été bien commencée par Jacques
et finie par Christelle, c’est donc un succès pour votre couple. Comme vous le
savez, elles ont fini par craquer et par avouer le meurtre avec préméditation.
Il s’agissait d’une jalousie qui remontait à plusieurs années. On serait dans
la vraie vie, et non dans un bouquin, chacune se prenait 5 ans. En tant
qu’auteur, je me contente de supprimer les personnages pour les 5 romans
suivants. »
« Je
dois dire que Jacques a vraiment été à la hauteur, poursuit finement
Christelle, en coiffant méthodiquement ses longs cheveux. »
« mais,
non, c’est toi qui a tout découvert, je pataugeais misérablement »
renchérit Jacques.
« Disons
que tous les deux on a été des bons ARIEN » conclut Christelle.