Chambéry vendredi, dimanche pleurera

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Auteur : PHILIPPE BONHOMME

Hauteur : 1720 mm

 

 

Chapitre 1 

 les plombiers en fuite

 

 

Le colloque des infirmières marseillaises devait commencer à 14h précises. C’était en substance ce qu’indiquait le journal local. En fait, la réunion ne débuta qu’à 14h30.

 

Cela n’était pas un fait gravissime en soi, je veux dire par là de nature à changer la face du monde, car d’une part le monde n’a plus de figure et d’autre part, la réunion se tenait à Chambéry et semblait concerner exclusivement les plombiers gauchers. La grande salle municipale se tenait fièrement sur la place de Chambéry, non loin de la gare, de l’hôtel et de la rue du même nom. Il faisait chaud, très chaud, on se serait crû en octobre, si on n’avait pas été en mai ou peut-être en décembre. La salle Frédéric François était pleine, de très vieux papiers et de très jeunes gens.

 Roger, d’un naturel très timide, sentit qu’on le regardait. Il tenta de se couper soigneusement l’orteil avec une cuillère à café. C’était sa façon bien à lui de se donner une contenance. C’est alors que Vanessa entra dans la salle, par une petite porte, qui par un mécanisme extraordinaire servait aussi de sortie de secours. La jolie rousse était grande et belle et portait une longue robe bleue, mais distraite de nature, elle la portait négligemment sous le bras, ayant totalement oublié de l’enfiler ce matin là,  laissant ainsi admirer son slip en bois du Japon du Sud-Est et son soutien gorge du même métal qui semblait d’ailleurs se demander ce qu’il pourrait bien soutenir, tant la belle était plate. Mais belle. Quoique plate.

 

A quelques pas de là, le commissaire ARIEN était fou de joie. En moins de deux minutes il avait découvert son steak haché à la cafétéria. C’était un petit exploit car le steak  était particulièrement bien caché derrière un rideau par les soins des responsables du restaurant qui connaissaient son penchant pour les énigmes. Au moins, quand il riait comme un enfant, il ne pensait plus à Camille. Il consulta sa montre et se dit « Diantre ! » ce qu’il disait souvent en consultant sa montre et dans certaines autres circonstances. L’homme se dirigea vers la tribune de la salle aménagée en amphi pour la circonstance. Le commissaire ARIEN rajusta sa veste verte sur son gilet bleu, prit un thon moins léger qu’il avait dans une poche spéciale pour prendre la parole devant l’assemblée. « Mesdames et Messieurs les plombiers gauchers, je vous demande une minute et 4 secondes d’attention. Un crime atroce a été commis, si atroce que je ne peux en parler maintenant, car cela pourrait causer des traumatismes irrémédiables à certaines oreilles sensibles, et j’en ai vu 4 ou 5 de cette sorte dans la salle, mais depuis ce jour là je m’attache, souvent à un arbre, mais toujours à trouver le coupable. » Visiblement ému, le commissaire s’interrompit une heure ou deux pour tousser puis reprit sans crier gare (on ne voit pas pourquoi il aurait crié gare, d’ailleurs) «  Le crime a été commis vers 14h, pense t’on aujourd’hui, mais peut être plus tard, les experts ne sont pas formels. Il est presque 15h, vous voyez donc le rapport étroit. Bon, il est vrai que c’était l’année dernière à 300 km d’ici mais cette réunion, croyez-en mon expérience,  pourrait être une couverture parfaite pour un habile meurtrier déguisé en plombier gaucher. »

Dans les rangs de l’assistance, un calme froid s’installa tranquillement. Chacun écoutait attentivement le commissaire qui prenait parfois des intonations de grand avocat.

 « Qui soupçonnerait un criminel au milieu d’une réunion de plombiers gauchers ? Je vous le demande ! Le meurtrier, je suis autorisé à  vous le révéler à ce stade de l’enquête ne peut être ni un chat siamois ni un crocodile, ni non plus un épicier analphabète ou un maçon croate, mais rien ne s’oppose à ce que ce soit un plombier gaucher. Je vais donc devoir fouiller les femmes et interroger les hommes. Il faut absolument, c’est primordial, et j’en fais une affaire personnelle, retrouver l’assassin de Camille »

 

Un grondement de protestation jaillit des 200 lèvres car il y avait une centaine de personnes environ dans l’assistance publique. Roger , stupéfait, mais au fond si content que l’on ne fasse plus attention à lui, avait décidé momentanément de cesser de se couper l’orteil et comptait machinalement ses mains sur ses doigts, ce qui semblait l’intéresser au plus haut point. Vanessa avait fait un nœud à son slip de façon à se souvenir d’enfiler la robe bleue qu’elle portait toujours sous le bras. Tranquillement.

 

Un par un, les participants étaient invités à pénétrer dans le petit salon d’à côté et à s’entretenir avec le commissaire ARIEN, assis derrière une petite table, ayant chaussé ses lunettes et déchaussé ses chaussures de ville. Le premier à être interrogé fût Bernard Busamille qui se mit tout de suite et simultanément à table et sur la chaise et en colère :

« oui, et bien tu les déboucheras tes oreilles avant de dire que c’est moi qui ai dit ce que les mecs y disent. Parce que c’est pas moi qui ai dit : tiens, voilà encore un flic »

Il faut dire que les rares fois où Bernard Busamille ne citait pas un sketch de Coluche, c’est qu’il s’inspirait d’un dessin de Gotlib. Il en fallait plus que cela pour déstabiliser  le commissaire ARIEN. « ne vous inquiétez pas, j’interroge tranquillement tout le monde et tout se passera bien, j’ai l’habitude. »

Bernard Busamille ne manquait pas d’aplomb, pour un plombier gaucher moyen, et le commissaire n’en manquait pas non plus, il en avait toujours un peu sur lui, dans une poche spéciale que sa mère avait cousu patiemment le soir à la chandelle à l’intérieur de sa veste. Bernard avait les poches et le front dégarnis, mais ses yeux pétillaient comme un vieux champagne de 1912 dont on aurait négligemment secoué la bouteille avant de faire sauter le bouchon.

« que faisiez vous le 12 août 1997, à 15h30, demanda finement le commissaire ? »

« rien ! rien, et justement je l’avais noté soigneusement sur un papier au cas où vous ou l’un de vos congénères me le demanderiez. Sans blague ! merde… Par contre, à 15h31, je laissais tomber mes lunettes dans la Loire »

Le commissaire aurait pu relever que l’on ne dit pas « par contre » mais « en revanche ». Il n’en fit rien, car il avait été absent du  cours à l’école de commissaires le jour où on avait étudié les « par contre » et autres « en revanche » . En revanche, il avait assisté à tous les cours de psychologie et sentit que Bernard Busamille, qui maintenant s’agitait avec frénésie sur la table en dansant le hip-hop, voulait manifester par là que l’entretien commençait à durer trop longtemps.

« c’est bon, je vous laisse tranquille, j’en sais assez, retournez à vos gaucheries de plombier gaucher, dit le commissaire d’une façon très adroite »

Bernard Busamille, qui était athée, ne se fit pas prier, et décampa sur le champ retrouver sa blonde Geneviève, laquelle avait soigneusement noté sur son bras gauche de penser à étrangler son mari qui, selon elle, avait regardé un peu trop fixement les formes de Vanessa. Personne n’ayant le temps d’expliquer à Geneviève que c’est une question de testostérone, que les filles regardent autant les mecs que les mecs les filles, mais elles le font discrètement car elles ont une vision à 180 °, alors que les garçons ne trouvent pas le beurre qui est devant leurs yeux dans le frigo.

 

La tension dans le petit bureau était à son comble, au point qu’on fit venir d’urgence un électricien chez les plombiers pour la mesurer avec précision. « 212 volts, dit l’électricien droitier, afin de mettre au courant le commissaire » Cela sembla satisfaire l’homme qui enchaîna brutalement, se tournant vers ROGER, qui venait d’entrer sur les mains dans la petite pièce.

« dites moi donc une date au hasard, vous qui venez d’entrer sur les mains dans la petite pièce. »

« le 5 mai 2028, répondit assez finement Roger »

Il y eut un silence que l’on pourrait chiffrer en secondes si on en avait le temps. « c’est une date dans l’avenir, rétorqua le commissaire d’un ton cinglant et néanmoins perspicace. Vous vous projetez dans le futur, c’est une fuite en avant. Vous refusez de vous plonger dans le passé, ce n’est pas innocent. Donnez moi une autre datte. »

Roger se contenta de lui apporter sans rien dire un plateau avec des dattes récentes mais aussi de vieilles figues et de jeunes noix.

« vous êtes très fort, Roger, « reconnut le commissaire, après un temps que d’aucuns évalueraient à 12 secondes et 3 dixièmes.

« je m’entraîne tous les matins, vous savez. Je me désaltère tout d’abord longuement puis je soulève des haltères pendant 7 ou 8 heures »

«  et ensuite ? » aboya le commissaire

«  ensuite je m’arrête car ce n’est plus le matin, cela ne se justifie plus »

Le commissaire ARIEN était bon, un bon ARIEN disait on un peu partout et même ailleurs, et il eut pitié de Roger, qui , quoique tout seul avec le commissaire, était persuadé qu’on le regardait . Sa timidité maladive était telle qu’il aurait même eu peur de parler sur un stade de 35000 personnes, ou lors d’un journal télévisé de TF1 vers 20h15. Petit moment de silence que le commissaire décida de meubler à son goût, un peu classique.

« J’ai noté que nous sommes de la même hauteur, tous les deux », dit le commissaire, pensant ainsi détendre l’atmosphère.

Roger brava sa timidité. Il prit son élan  et pour une fois, rectifia les propos du commissaire « en français moderne, tel qu’on l’apprend dans les meilleurs collèges de nos régions, on doit dire : nous sommes du même auteur, tous les deux. D’ailleurs c’est bien vrai »

A cet instant le commissaire un peu en colère se lança dans un monologue que l’honnêteté et la décence interdisent de préciser davantage.

« ah bon, se dit le commissaire dans sa Ford intérieure. Qu’entends-je par là ? «  Il dût se dire à l’évidence que par là il n’entendait pas grand chose et ce fût la fin de l’entretien, même si le bon commissaire sentait que c’était également la fin de tous ces tubercules légumineuses vertes qui font le régal des fermes auberges alsaciennes ou aveyronnaises accompagnées de petites pommes de terre légèrement croustillantes et caramélisées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2 

 le bon ARIEN mène l’enquête

 

 

 

La bonté d’ARIEN étant inversement proportionnelle à sa patience et à la racine carrée de sa générosité, il sentit le besoin d’interrompre derechef tous les interrogatoires. « laissez moi une heure ou deux, je vais prendre l’air, continuez à vous interroger les uns les autres, voire même les autres les uns, c’est de la dynamique de groupe. S’il vous reste du temps, vous disserterez sur la phrase suivante : une bille remonte un plan incliné, faites une enquête.»

Il sortit avec l’air d’un prince que son valet vient de vexer en lui signifiant qu’il a mis sa culotte à l’envers.

 

Vanessa entra à la fois dans la pièce et dans une colère noire, car elle n’était absolument pas raciste : « est ce qu’on peut me laisser le temps d’enfiler ma robe ? c’est un monde, ça » « vas-y ma cocote, hurla timidement Roger, tu ne vois pas que le commissaire s’est taillé alors qu’il parlait de ma taille et de la sienne par voie de conséquence? » Vanessa nota la phrase sur son bras gauche en se disant qu’elle réfléchirait à la portée de ces mots obscurs un peu plus tard.

 

Dehors, on était toujours à la fois en juin et en ville et le commissaire humait l’air de Chambéry. « j’hume l’air, parlons au présent, rectifia t’il ».Il parcourut au pas de course la rue principale, ne s’arrêtant que devant certains magasins à la devanture attrayante. Son portable se mit à sonner. « sûrement quelqu’un qui m’appelle, se dit le commissaire » effectivement, c’était son fils Laurent

« tu n’as pas vu mes papiers, demanda Laurent, j’en ai besoin si je me fais arrêter par les flics »

« tu vois ta tête ? et bien regarde en dessous, tu as ta chemise et dans la poche en haut à gauche, tu as ta CNI sur laquelle il y a aussi ta tête mais qui n’est pas un document obligatoire mais qui est bien commode pour justifier de ton identité. On l’appelle carte nationale d’identité exprès pour ça, d’ailleurs, sinon on l’aurait appelé autrement, tu penses bien »

Le commissaire s’arrêta de parler surtout car son fils Laurent avait raccroché depuis 3 minutes, mais aussi car il aimait s’arrêter lui-même, c’est un excellent entraînement dans ce métier de commissaire qu’il pratiquait depuis l’enfance. Parfois il se demandait s’il n’était pas né commissaire ou alors pas né comme ces poissons qui font la joie des enfants le vendredi à midi à la cantine de Fouilly dans le Tiroir

« j’hume encore un peu puis je rentre poursuivre mon enquête et le meurtrier » se dit-il. Les murs se lézardaient joyeusement sur son passage, mais l’air était vivifiant ce jour là à Chambéry, les bus passaient amicalement devant ARIEN, et le temps se découvrait respectueusement à chaque fois qu’il arpentait un carrefour.

 

Lorsque le commissaire ARIEN revint au local, il trouva Vanessa en train de se disputer avec sa copine Arielle, qu’il jugea un peu lascive, avec sa jupe en spaghettis, à propos de ce qu’avait réellement voulu dire Jésus quand il disait « aimez-vous les uns sur les autres » (Isaïe,20-III)

Il ramena les filles à la réalité : « je vais  vous interroger ensemble, comme cela vous pourrez continuer à vous disputer tout en répondant à mes questions. C’est la meilleure solution » « cela nous convient parfaitement », dit Arielle avec un accent québécois difficile à retranscrire sur cette page. « elle veut dire que cela nous convient parfaitement » traduisit Vanessa sans accent, d’ailleurs la phrase ne comporte aucun accent.

« j’ai noté que vous portiez ce matin une robe bleue mais sous le bras et non pas sur vous, ce qui suggère l’idée que vous pouvez être légèrement distraite. Alors écoutez bien ma question : se pourrait il que vous découpiez quelqu’un en morceaux par inadvertance et que vous chassiez l’idée de votre esprit ? ou alors que vous poignardiez distraitement une fille un soir de pluie ? »

 

Pour toute réponse, Vanessa éclata en sanglots longs comme des violons, hoqueta en petits tas, puis se décida à raconter son histoire.

« Au commencement du monde, à l’heure où les dinosaures envahissaient la planète…. »

« tu pourrais sauter quelques milliers d’années et en venir au fait ? « rugit Arielle, qui commençait à mousser.

« tu as raison, je suis vierge, c’est très important de le préciser à ce stade du raisonnement, et j’ai Neptune en trigone avec Pluton aujourd’hui »

« je crois que le commissaire s’en fout complètement, viens au fait, » hurla Arielle, qui commençait à déborder

« C’est exact, Vanessa, dites moi uniquement ce que vous avez fait dans la nuit du 12 août 1997 » trancha le commissaire.

«  C’était donc un lundi, et la veille, qui devait être un dimanche ou quelque chose comme cela, j’avais fait une course »

« désolé, Vanessa, mais le dimanche on ne peut faire de courses, les magasins sont fermés »

« je n’ai pas dit que je magasinais, je dis que j’ai fait une course, je suis une coureuse, comme Arielle, si vous voulez »

 

Le commissaire voulait très bien, et regardait la jupe en spaghettis et le petit haut en crépine de porc que portait Arielle, sans remarquer que Vanessa elle aussi avait pris l’accent québécois.

« je suis coureuse à pied, poursuivit Vanessa, et Arielle courait avec moi ce jour là, elle a parcouru 25 km en seulement deux heures, ce qui est très bien, mais elle a été disqualifiée car la course ne comportait que 21 km, c’était un semi marathon, d’ailleurs. Comme c’était une course officielle, il y a au moins 350 personnes qui nous ont vues, y compris le maire et tous les notables de St Zacharie, car la course se déroulait dans cette commune. »

« C’est bon, je vous remercie toutes les deux de votre collaboration »

La plupart des suspects gauchers avaient un alibi en béton. Le commissaire prit encore le temps d’interroger Christian DUFER

« Que faisiez vous au jour dit, dites ? »

« dites donc, vos questions sont bizarres, pleines de non-dit. En fait, je réparais une tuyauterie à la Centrale du Tricastin, et 15 personnes au moins peuvent en témoigner, dont Marie, mon épouse qui ce jour là après avoir vendangé les vignes du voisin, a fait à manger pour 212 personnes, nettoyé les vitres de toute la Centrale, et… »

« Bon, j’en sais assez, veuillez vous taire » ARIEN partit se coucher à l’hôtel « Au lion d’or » où il avait réservé une suite, composée d’un lit, d’un placard et d’un lavabo, le tout entouré d’une épaisseur de placoplâtre qui faisait penser irrésistiblement à du papier cigarette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3 

 un personnage à la hauteur

 

 

 

 

Le lendemain, le jour se leva d’une façon très bizarre, et le commissaire ARIEN entreprit une démarche qu’il préméditait depuis longtemps déjà : rencontrer l’AUTEUR. Son auteur, quoi ! celui qui devait écrire ces lignes, et qu’il connaissait assez mal. Souvent le commissaire s’imaginait l’auteur, qui devait être un ours solitaire, ou alors un play boy invétéré , ou un vieux moine hystérique. Bref, il ne savait pas du tout comment s’imaginer celui qui l’avait fait naître, mais il savait ce qu’il allait lui dire. Tout en se rasant devant sa glace, vanille-fraise, il se mit en bouche les paroles qu’il comptait bien prononcer devant son interlocuteur. »cela ne me satisfait pas ! je ne peux plus continuer comme cela. » Rasé de frais (à cause de la glace), propre sur lui, il prit la route et avant tout sa voiture et toutes deux le menèrent rapidement chez l’AUTEUR. L’AUTEUR habitait dans une ville de 20000 habitants, 300 chats et 400 chiens, sans compter les perroquets, mais personne n’a jamais envie de compter les perroquets. Il habitait une maison bizarre où l’on devait monter dans un ascenseur immobile car il n y avait pas d’étage à desservir. L’auteur et propriétaire des lieux  devait tenir pour son standing à ce que cette maison près de Marseille soit avec ascenseur. Lorsque le commissaire ARIEN sonna, on vient lui ouvrir en moins d’une petite heure. C’était l’AUTEUR, qui reconnut immédiatement son personnage et l’invita à s’asseoir quelques minutes sur un arrosoir pour discuter un moment. « Je vous sers a) la main b) un pastis c) à rien ? » demanda finement l’AUTEUR . Prenant dès aujourd’hui son courage à demain, le commissaire prit son élan et balbutia « voici ce qui m’amène, je voudrais que vous donniez de l’épaisseur à mon personnage »

« comment cela, rugit l’AUTEUR, vous n’êtes pas assez gros comme cela ? « il dévisageait le commissaire avec l’air du flic qui vient de surprendre 1500 voitures garées en double file.

« ce n’est pas ce que je veux dire, et d’ailleurs vous êtes tout à fait excusable si c’est votre premier livre, mais cela me plairait d’avoir un peu de finesse, un peu de drôlerie, de plaire au public qui s’intéresserait à mon enquête alors que j’ai l’impression que vous me méprisez, d’ailleurs vous ne m’avez même pas donné de prénom »

 

 

 En moins de temps encore qu’il n’en faut à une femme pour repérer si un homme porte une alliance ou non, l’Auteur rétorqua : « bon, je vais voir ce que je peux faire, reprenez votre personnage, et je vais tenter de lui donner l’épaisseur souhaitée. »Il se leva, signifiant ainsi sans contestation que l’entretien était terminé, et qu’il appréciait fort peu la hauteur de ton de son personnage.

Le commissaire ARIEN repartit , quelque peu rassuré à la fois d’avoir osé tenir tête à l’Auteur, et puis aussi par les paroles de ce dernier. C’était réconfortant de savoir que celui qui vous donne vie se charge de vous donner épaisseur et consistance. « Au fait, cria l’Auteur, sur le pas de son ascenseur immobile, j’avais oublié de vous dire, vous êtes Jacques »

Jacques passa une excellente nuit, très content en fait de s’appeler Jacques et le lendemain ordonna de réunir tout le monde dans la grande salle de conférences , puis réclama le silence.

« je vous dois quelques explications, dit-il, car effectivement je ne vous ai rien dit du meurtre qui motive mon enquête. » Tout un petit monde se suspendit vaillamment aux lèvres lippues du commissaire.

Il prit une longue inspiration et commença :

« Un jour, c’était la nuit d’ailleurs, et Camille se demandait si elle allait boire un thé tout de suite ou dans 5 minutes. Seule dans la grande maison, elle avait du mal à dormir. Ce n’est pas le thé qui allait arranger les choses. Alors elle se dit qu’un bon bain lui ferait du bien. Elle ne verrouilla pas la porte de la grande salle de bains, à quoi bon, elle était seule. Au rez de chaussée, la grande porte d’entrée était fermée de l’intérieur. 23 heures. S’il y avait eu des voisins, ils auraient entendu un cri déchirant dans la nuit. Le lendemain matin, vers 11h30, le facteur trouva porte close et cela l’intrigua. La police dût faire appel à un serrurier pour ouvrir la lourde porte d’entrée, toujours fermée de l’intérieur. Toujours est il que dans la salle de bain on trouva Camille poignardée sauvagement. Elle avait les yeux ouverts, le poignard entre les seins, et l’eau du bain déjà toute rouge. D’après la trajectoire du poignard, les experts déclarèrent qu’il s’agissait d’un gaucher. Elle ne semblait pas avoir souffert, comme si la mort l’avait surprise dans son bain. Son visage était calme et reposé. On ne lui connaissait pas d’ennemis. Elle semblait connaître son agresseur, on peut le supposer. Camille, 24 ans, était la fille d’un riche importateur de triangles isocèles grecs qu’il revendait en Croatie. Il était donc toujours en déplacement. La mère était morte quelques années auparavant à Lyon, et Camille refaisait sa vie, prenait des cours de comédie et de danse et aux dires de ceux qui la connaissaient un peu menait une vie tranquille. Elle était jolie, assez grande, un peu une fille sans histoires. Jusqu’à ce matin là. »

Un silence s’installa dans la grande pièce. Pesant.

Ce fût Vanessa qui le rompit, en lançant, un peu comme on lance un emprunt : « finalement, le crime profite à qui ? »

« à personne, au premier abord, et même au deuxième rabord. rien n’a disparu dans la maison, ni bijoux, ni argent, répondit le commissaire, rien n’a été déplacé, et surtout la porte d’entrée n’a même pas été ouverte. »

« mais au fait… «  s’enquit Roger. Immédiatement, les yeux se tournèrent vers lui, et le timide se mit à rougir. Le commissaire se prit à penser que ce genre de timide devait être incapable d’offrir des fleurs à une femme, de déclarer sa femme aux impôts, sa flamme à une femme pompier. C’est pour cela qu’il les viole, se dit-il, avant de se rendre compte que sa supposition était gratuite. « vous avez raison de dire mais au fait, Roger, bien entendu nous avons pensé aux empreintes digitales. Sur le manche du poignard il n y avait plus aucune empreinte, comme s’il avait été soigneusement essuyé. »

L’atmosphère était pesante, et chacun comprit que ce mystère hantait à ce point le commissaire qu’il s’était juré d’éclaircir la chose. Un peu comme si c’était son métier. D’ailleurs, c’était son métier. « pour conclure, je dirai qu’elle n’avait pas fait de testament, et que toute la fortune des triangles isocèles ira à la mort de son père à l’APM, c’est à dire à l’association des profs de maths.

Machinalement, il envoya un SMS à son fils Laurent : » rappelle –moi qui tu es, s’il te plait » deux minutes après, la réponse, précédée d’un extrait de la 9° symphonie de Beethoven joué sur une cloche d’église (le plus facile des instruments à corde) : « Laurent » disait Laurent, ce qui rassura le commissaire.

Cette nuit là, le commissaire ARIEN, Ar pour les intimes qu’il n’avait pas, et Jacques pour ceux qui ont lu les pages précédentes, dormit peu et dormit mal. Un peu comme si tous les protagonistes défilaient devant lui dans une folle sarabande. Il repensait souvent à Camille, la blonde assassinée, pour quoi, pour qui ?

De drôles de pensées tournaient dans sa tête. Quel rapport pouvait il y avoir avec Roger ou avec Vanessa ?

Pendant la nuit, ne pouvant trouver son sommeil, il tournait en rond dans sa chambre carrée, il refaisait le monde, qui en a bien besoin, c’est vrai. Il repensait aussi à l’Auteur, l’imaginant devant son clavier d’ordinateur, refaisant à sa guise le monde lui aussi, mais le monde des personnages. Il pensa même que l’Auteur se cachait dans la salle pour le surprendre et enfin tout savoir de son épaisseur.

Maintes fois, il était retourné dans la maison du crime, et s’était trouvé toujours confronté au même problème. Camille n’avait pas d’ennemis, pas de famille non plus, la porte était toujours fermée de l’intérieur, personne n’avait donc pu entrer ni sortir, et cependant, elle était morte.

Il réalisa soudain que l’Auteur, celui qui tire les ficelles, avait oublié de mettre un peu d’humour dans les quelques lignes précédentes, alors il tenta une pirouette, un trait d’humour, mais rien ne vint. Il y a des jours où même l’humour se cache et se dissimule, et croyez moi cela ne présage rien de bon.

 

Le lendemain, le commissaire ARIEN se décida à partir dans la région de Marseille rencontrer l’Auteur pour lui soutirer quelques infos intéressantes . Il quitta Chambéry vers 11h12 ce jour là, au volant de son AX à la couleur très indéfinissable, sauf avec une grande habitude, ou pour un expert en peinture de la Renaissance en Italie du Sud. Deux petites, toutes minuscules heures après (elles ne faisaient en fait que 53 minutes, tout au plus), Jacques arriva dans cette ville caractérisée par deux éperons rocheux et un tribun célèbre qui disait « nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ». Au pied d’un moulin, une petite maison écrasée de soleil se détachait dans la montagne. Sauf que ce jour là, il pleuvait et la maison était écrasée de pluie. Le commissaire ARIEN monta 4 à 4 les trois marches, ouvrit la porte de l’ascenseur immobile et se glissa dans le couloir que l’Auteur avait finement baptisé « 16 », c’est à dire « très étroit ». Au bout de ce couloir inutile et interminable, une autre porte, celle-ci fermée à clef à simple tour. L’Auteur se plaisait à répéter « à quoi cela sert de fermer à double tour, est ce que c’est deux fois mieux fermé ? »

 

Il tapa discrètement avec une hache. L’Auteur arriva d’un pas léger, ouvrit la porte dans le sens rétrograde afin de laisser pénétrer le commissaire. « venez, j’étais certain que vous alliez vous pointer ici un jour ou l’autre, mais je pensais que ce serait plutôt l’autre. »

« Vous savez, je viens un peu aux nouvelles, car je patauge un peu avec le meurtre de Camille, vous avez bien un tuyau »

« ma tuyauterie est en parfait état de marche, mais je vais tout d’abord faire un tour de carte ». Effectivement, l’Auteur déposa sur le sol une carte Michelin de la région, et fit un tour autour de ladite carte, sans proférer la moindre incantation. Il déplia ensuite la carte et montra au commissaire le village de Vernillon-Foncoux, situé dans le Lubéron et dans la partie gauche de ladite carte. « A l’entrée du village, la maison de Camille. Il y avait toujours des amis chez elle, j’étais fier d’en faire partie d’ailleurs, et nous étions toujours invités permanents dans la grande maison. Camille d’ailleurs aimait être en bonne compagnie et n’était jamais seule, sauf ce soir là…. En fait, elle n’était pas seule puisque son meurtrier était là , le problème c’est que l’unique porte d’entrée, qui par un mécanisme spécial servait aussi de porte de sortie est restée fermée de l’intérieur par un loquet vertical que l’on abaissait et qui tombait dans une gorge, bloquant hermétiquement la porte. »

« qui étaient ses amis ? » osa Jacques.

« des gens d’un bon milieu, plutôt BCBG, des étudiants riches, des artistes, des coureurs de marathon,     une psy, aucun ne ressemblant de près ou de loin à vos plombiers gauchers. On sent très bien que ce sont deux mondes opposés. »

« vous avez parlé d’une psy, qui est-elle ? »

«  c’est aussi une de mes amies, d’enfance d’ailleurs, car moi qui vous cause, j’ai eu une enfance, et elle se nomme, pas mon enfance la psy, Noëlle »

« puis je la rencontrer ? » re-osa Jacques, qui sentit deux doigts d’agacement dans la main de l’Auteur qui malaxait un jeu de cartes en lui faisant faire des fioritures aussi inutiles que complexes. L’Auteur lâcha : « oui, vous pouvez rencontrer Noëlle à son cabinet, en la choisissant comme psychothérapeute, même si cela ne dure pas, vous pourrez partir à tout moment. »

« je suppose qu’elle a été votre psychothérapeute dans le passé ? « tenta le commissaire, se rendant compte que les mots troublaient un peu l’Auteur qui répliqua : « vous savez, premièrement, il n’est pas habituel que le personnage, fût il principal, entre en relation avec des relations de l’Auteur, c’est un mélange de réel et de virtuel qui fait qu’au bout d’un temps petit t ou parfois grand T, on ne sait plus qui on est, si on vit ce qu’on lit ou si on lit ce qu’on vit. Pour répondre à votre question, que je n’ai pas oubliée, bien entendu qu’elle n’a jamais été ma psychothérapeute, car nous sommes trop liés, et donc elle n’a pas le recul nécessaire , elle ne pourrait être un ectoplasme , sans vouloir l’insulter. »

Jacques nota l’adresse : rue de la montagne, à La Plaine, un quartier de Marseille bien connu, curieusement surtout des Marseillais, et très peu des spiripontains, les habitants de Pont St Esprit.

Ayant acquis de l’auteur un peu d’épaisseur et de finesse, Jacques comprenait que son personnage s’étoffait au contact de son créateur, dans une folle dialectique qui faisait que l’auteur s’enrichissait lui aussi au contact de son avatar.

Comme l’auteur lui avait dit en prenant congé : « et le bonjour à votre épouse », Jacques ARIEN comprit qu’il était désormais doté d’une épouse, ce qui lui parût bien commode et bien agréable, et nota sur son calepin de découvrir le personnage de l’épouse, et de faire son enquête pour savoir si la belle (elle ne pouvait être que belle) était coupable ou non du meurtre de Camille. Il imagina l’auteur, penché sur son ordinateur, pondant le personnage de l’épouse du commissaire, car cet auteur là (d’ailleurs, le personnage ne connaissait aucun autre auteur que LE sien) aimait pondre, parlait toujours de pondre, un peu comme si quelqu’un de sa famille avait fréquenté une poule ou plusieurs gallinacés.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 4

Jacques et la psy causent

 

 

Tout en montant l’escalier de chez la psychologue, Jacques se dit qu’il n’avait jamais effectué pareille démarche, qu’elle allait le juger, le cataloguer, le condamner. Certes, il avait demandé de l’épaisseur, de la consistance, mais pas au point de se retrouver avec des névroses et des complexes. Lorsque la porte s’ouvrit (probablement que quelqu’un l’avait ouverte de l’intérieur, vraisemblablement Noëlle qui apparut dans l’entrebâillement) il se dit que dans le fond, une psy pouvait être comme tout le monde, avec un nez une bouche, et une chevelure rousse cachant un cerveau planant à 500 m au dessus du commun des mortels.

« bonjour ! dit-elle, et finalement, si on y réfléchit quelque peu,  c’était le mot le plus approprié. On sait que les psy cherchent souvent des connotations erotico-psycho sensorielles à rémanence rétroactive pour exprimer des choses toutes simples, mais ce bonjour là était le mot le plus adéquat et le plus subtil, ce qui fit penser à Jacques, mais il n’en montra rien, que Noëlle était fine et subtile, et dotée d’un esprit de synthèse très puissant. Ensuite ses yeux dévisagèrent le commissaire, spécialement le gauche, pendant que le droit ne disait plus rien. C’est comme si le commissaire ARIEN avait étalé tous ses fantasmes sur la table, toutes ses turpitudes sur le fauteuil près du téléphone, il se sentait tout nu devant LA psy.

 

« asseyez vous, ou allongez vous, c’est égal, dit la praticienne . P…. m’a parlé de vous, de ce que vous désirez savoir, et je vais vous dire ce que je sais à propos de Camille. »

« ainsi donc, se dit Jacques dans sa Ford intérieure, l’Auteur s’appelle P point de suspension, ce qui est un sacré drôle de nom, enfin un nom d’Auteur, pas plus étonnant mais moins sympa que Victor Hugo ou Guy de Maupassant »

« Camille était mon amie, je veux dire par là que je la ressentais comme telle, même si mes sens peuvent s’abuser d’une relation non exempte de transferts complexes et quasiment oedipiens que je me dispense d’analyser car je ne suis pas payée pour cela. »

C’en était fini de la concision, de la merveilleuse concision du bonjour qui avait débuté l’entretien. Noëlle sentit que son interlocuteur ne captait déjà plus, un peu comme un téléphone portable lorsque vous passez dans un tunnel, et effectivement Jacques était dans un tunnel par rapport à cette enquête, et sentait que l’auteur, le fameux Ppoint de suspension pouvait

s’apprêter à écrire un livre de 500 pages. Pendant tout l’entretien, la psy jouait avec un trousseau de clés, maintenant une des clés verticale et s’entraînant à la faire tomber au niveau des autres. Ce geste répétitif agaça un peu Jacques, mais il pensait que cela faisait partie du travail psychanalytique à accomplir, et que tous les renseignements glanés feraient avancer l’enquête.

« En fait, Camille avait du mal à se positionner dans la vie, et c’est souvent le cas chez ceux qui ont des prénoms mixtes, comme Claude ou Dominique. Elle doutait d’elle même et se sentait incapable d’actions souvent très simples. Je veux dire par là qu’elle était prête à payer ce qu’il fallait pour faire venir quelqu’un dont c’est le métier qui fasse l’action à sa place. Cela faisait peur aux garçons qui ne la fréquentaient pas beaucoup, alors que Camille était plutôt jolie. « 

Plutôt jolie. Le commissaire se dit que lorsqu’on dit plutôt jolie, c’est restrictif, et cela veut presque dire qu’elle était moche.

« en fait, Camille était venue me voir au départ pour une psychothérapie, et pour des raisons pratiques, et d’éloignement de son domicile, cela n’avait pas été possible. Mais nous étions restées très liées.

C’est le genre de fille dont on se dit que personne ne pourrait avoir le moindre intérêt à la tuer.

Mais vous, Jacques, vous permettez que je vous appelle Jacques, expliquez moi en quoi ce meurtre vous fascine et pourquoi alors que d’après ce que m’a dit l’auteur, l’affaire a été classée, pourquoi vous tenez tant à trouver la solution de l’énigme ? »

Le commissaire permit qu’on l’appelle Jacques. N’expliqua rien de spécial. Repartit de Marseille sans en savoir plus. Mais il se dit qu’à l’occasion il retournerait à Marseille, dans ce quartier de La Plaine voir cette psy rousse.

 

Pendant la nuit, Jacques ARIEN pensait à celle qu’il appelait déjà Noèlle , alors qu’elle s’appelle en réalité Noëlle, mais c’est assez voisin. Il se répétait inlassablement les mots qu’elle avait prononcé, cherchant à y déceler une piste. Jacques tournait en rond comme un ours en cage dans sa chambre carrée, certain que la psy allait lui apporter un élément décisif.

Il s’endormit au petit matin sans avoir trouvé. En se réveillant, il entreprit de se raser avec une cuillère à café. Soudain, ce fût l’éclair si fulgurant qu’il faillit se couper, ce qui est très difficile avec une cuillère à café. « Bon sang, mais c’est bien sûr » se dit il car il connaissait ses classiques. Il s’assit sur le lit pour se faire part à lui même de ses découvertes. « tu vois, Jacques, ce n’est pas dans ce qu’a dit Noëlle qu’il y a un indice mais dans le fait qu’elle jouait sans arrêt avec ses clés, en maintenant une verticale, en équilibre, avant de la laisser retomber parmi les autres. Et alors ? dis tu, mais Jacques, c’est hyper important. Tu ne vois pas le rapprochement ? Comment ferme la porte de Camille ? une pièce de fer au départ verticale et que l’on amène en position horizontale où elle est coincée et bloque la porte, c’est pour cela que nous avons affirmé que la porte était fermée de l’intérieur. Seulement, imagine un peu. On place la pièce de fer en équilibre instable vertical. On referme très très doucement la porte. Lorsqu’il ne reste plus qu’un millimètre, on ferme d’un coup très sec, et le morceau de fer intérieur tombe dans son logement, laissant penser que la porte est fermée de l’intérieur. Aucun mécanisme n’est accessible par l’extérieur, mais dans ce cas de figure, la fermeture soi disant de l’intérieur est possible, même si la personne a certainement recommencé trois ou quatre fois l’opération, dans les premiers cas, la pièce de fer retombant un peu trop tôt à l’extérieur de son logement.

Le meurtrier est donc parti tranquillement après avoir soulevé avec un gant la pièce de fer. C’était trop simple. Beaucoup trop pour qu’on trouve la réponse rapidement.

Bien entendu, cette avancée n’apportait guère d’éléments nouveaux sur la personnalité de l’assassin : ce pouvait être aussi bien un collectionneur de sucres qu’un plombier ou un magicien, mais Jacques savait déjà comment il était sorti en faisant croire que la porte était fermée de l’intérieur et que donc Camille s’était suicidée. D’ailleurs, aussi bien, le meurtrier était peut-être venu le matin, avant le passage du facteur.

Cette nuit là, Jacques dormit du sommeil du juste, si tant est que le juste ait un sommeil juste un peu particulier. Au petit matin, il marcha dans les rues jusqu’à la salle où il attendit tous les plombiers gauchers. Il savait bien que tout le monde a un alibi, et cela le mettait un peu en colère. Chacun avait été vu en dehors du lieu du crime à cette heure là, et parfois même par 350 personnes , c’était le cas pour les deux coureuses.

Alors qu’il était à moins de 50 m de la porte de la salle Frédéric François, ainsi appelée car François Valery n’était pas libre, Jacques le commissaire est rattrapé par une fille qui lui dit : « Je suis Christelle, je suis Christelle ! » « Enchanté, répond poliment Jacques » « je suis ta femme, Jacques, « dit elle simplement. L’intéressé regarda attentivement le résultat de la ponte de l’Auteur. Une fille assez grande, avec de très très longs cheveux bruns, qui arrivaient au niveau du bas de la jupe, par ailleurs assez courte. Sur cette jupe, il y avait marqué en bas : bas de la jupe, et pour coordonner le tout, sur le haut mauve, il y avait marqué en tout petit, sous la poitrine, « si vous pouvez lire ceci, c’est que vous avez une excellente vue mais vous êtes nonobstant cela, un peu trop près de moi »

Bref, Jacques se dit qu’il faudrait penser à remercier l’Auteur de lui avoir fabriqué une compagne croustifondante (ne cherchez pas dans aucun dictionnaire, je me comprends) et probablement intéressante. Et la croustifondante de prendre la parole : « tu sais, Jacques, je dois te dire que dans les couloirs certains te nomment affectueusement AC et non Jacques. C’est sympa, mais je ne sais pourquoi, le nom AC ARIEN fait un peu microbien quelque part. D’autre part, je peux te révéler ce que je sais de par l’Auteur dont je suis l’une des copines : Je ne suis pas la meurtrière, ce n’est pas toi non plus l’assassin, et il te donne encore 5 pages au maximum pour le trouver. »

Jacques ne savait plus quoi dire à la belle Christelle envoyée non pas du Ciel mais de l’Auteur. Il réunit encore tous les suspects et leur tint à peu près ce langage :

« Roger, Bernard, Vanessa, Arielle, Christian, je suis certain d’après mes recoupements que le meurtrier est l’un d’entre vous, et comme j’ai amené ma Roberval portative, je pèse mes mots »

La réponse fut un tollé.

« oui, je sais, chacun d’entre vous a un alibi parfait, … ah excusez moi, dit Jacques entendant sonner son portable, et il crut bon d’ajouter : c’est mon portable »

« Allo, dit finement le commissaire »

« C’est Laurent, ça y est, je sais ce que je veux faire plus tard : je veux faire Bernard Tapie, mais la question est : faut il faire MIAS puis MAS avant de faire MIAGE ou bien alors MOS, puis MIOS avant de faire MIOGE ? »

« tu sais, je travaille, je suis sur mon enquête on en parle ce soir à table »

« mais tu es parti depuis une semaine »

« ah bon ? alors, parles en à ta mère, je travaille »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 5 : Mais que fait la police ?

 

 

Note de l’éditeur : c’est l’Auteur qui d’un coup a changé la police.

Jacques ARIEN se dit qu’il fallait accélérer la recherche du coupable. L’auteur ne lui laissait pas beaucoup de temps. « Roger, Bernard, Vanessa, Arielle, Christian, et pourquoi pas Noëlle ? » les prénoms tournaient dans sa tête, un peu comme dans une folle sarabande. Tous avaient un alibi, vérifié, et contrôlé plusieurs fois. « cherchons celui dont l’alibi est le plus fragile. C’est certainement Bernard, se dit –il. Après vérification, il n’avait pas du tout laissé tomber ses lunettes dans la Loire, il était tout simplement à Marseille, chez lui, et tous les voisins peuvent en témoigner. «  Bernard habitait de beaux quartiers, dans une belle maison. Tout cela tranchait avec ses idées communistes et intriguait beaucoup le commissaire. Mais Bernard n’aurait pas eu le moindre intérêt à tuer Camille. Alors le commissaire se prit la tête à deux mains : « en fait, je me demande si j’ai bien l’esprit neutre et lucide ou si je ne m’arrange pas en fait pour que le coupable soit celui que je voudrais qu’il soit, enfin je me comprends.

 En fait, Jacques réfléchit pendant au moins trois jours, et trois nuits aussi, et à la fin, la folle sarabande des prénoms tournait toujours dans sa tête. Lorsqu’il vit arriver Christelle, il se dit que la solution pouvait attendre un peu. Justement, Christelle était vétue d’une petite jupe bleue et d’un haut un peu court qui laissait entrevoir un des plus ravissants nombrils que la terre ait connue. Sur le coup, Jacques se dit que ce n’était pas convenable de dévisager sa femme comme cela, puis il se ravisa, pensant au contraire que c’était normal. Mais Christelle éteint immédiatement toutes ses ardeurs, un peu comme lorsqu’on jette une cruche d’eau sur un feu qui a bien pris dans la cheminée.

«  Je t’ai laissé le temps de trouver le coupable, tu ne l’as pas trouvé encore, alors je vais être obligée de t’aider »

« mais tu sais, je crois bien que je suis sur une piste »

« non, nous ne sommes pas au Sahara, tu sais également que l’Auteur t’avait donné un petit délai, et il est dépassé depuis longtemps, non pas l’auteur, mais le petit délai »

Jacques ne lutta plus, il se mit à regretter mentalement le temps où il n’avait pas de femme attitrée, et se tût.

« tu sais, on va reprendre à zéro toute l’histoire. Camille n’avait pas peur de son meurtrier, était ce le plombier qu’elle attendait ou alors un ami ou bien encore les deux ?

On peut même envisager que le plombier et l’ami soient la même personne ?

Jacques regardait Christelle avec insistance. Savait elle quelque chose ? Comment se fait il que les femmes ont toujours l’air de ne pas y toucher et savent en fait beaucoup de détails que nous les hommes ignorons et ignorerons toujours ?

« Je relisais ton enquête depuis le début, dit Christelle, et je me demande si tu vas dans la bonne direction. Tous les suspects ont un alibi, c’est impossible qu’il n y en ait pas un qui ne se démonte pas complètement. »

Christelle regardait alternativement la fenêtre, Jacques, le bout de ses cheveux à elle, et semblait réfléchir intensément. « L’auteur m’a demandé de faire quelque chose car tu as l’air de patauger. Commence par examiner ceux qui sont insoupçonnables. »

« mais ils le sont tous, insoupçonnables, avec un alibi en béton » murmura blasé Jacques.

«  oui, mais qui a le meilleur alibi ? »

Christelle semblait avoir une idée bien précise. Elle avait une étincelle dans le regard qui finit par faire un peu peur à Jacques. « je veux dire, qui ne peut on pas du tout soupçonner ? »

Jacques réfléchit et lâcha : « il est impossible que ce soit Vanessa et Arielle puisqu’elles ont fait une course à pieds bien connue, qu’il y avait 350 personnes, la presse, à l’arrivée, donc pour elles c’est impossible. »

Christelle regarda intensément Jacques. « c’est vrai, et irrésistiblement on se tourne alors vers d’autres suspects qui ont des alibis tout autant vérifiables. Alors voici ce que j’ai fait, moi »

Elle prit une grande inspiration et reprit.

« je suis partie de l’idée de démonter l’alibi des plus insoupçonnables, Arielle et Vanessa. C’était un pari dingue, mais j’ai tenté. Je suis allé à une course équivalente à celle qu’elles ont couru, à savoir un semi-marathon, donc légèrement plus que 21 km. Il y avait également des filles connues sur le plan sportif, je les ai vues au départ, avec tous leurs amis et supporters, et également à l’arrivée avec la foule qui les acclame. Mais sur le chemin, il n y a pratiquement personne. A certains endroits, il y a juste la personne chargée de guider à une intersection le groupe de coureurs. »

« je te vois venir, interrompit Jacques, mais la foule des coureurs verrait bien quelqu’un s’échapper »

« pas du tout, chacun ne pense qu’à sa course, et ne sait pas si les deux filles sont derrière ou devant. »

« mais enfin, reprit Jacques, les officiels, les passants, les coureurs, quelqu’un verrait bien si un coureur quitte la route tracée »

« pas certain, et notamment auprès des ravitaillements car il y a pas mal d’agitation, des enfants donnent des verres d’eau et des éponges, on ne remarque rien. Je me suis fait remettre le tracé de la course, et j’ai bien étudié mètre par mètre l’itinéraire. Suppose qu’au premier ravitaillement, en buvant un verre d’eau, elles passent derrière le stand et très vite dans la forêt toute proche. Même si quelqu’un remarque cela, il pensera à une envie pressante. »

« oui, mais nous sommes à St Zacharie, donc à 30 km du lieu du crime »

« suppose qu’elles n’ont pas couru jusque là, mais que l’une des deux voitures les attendait. En 20 mn, elles sont auprès de Camille qui ne se méfie pas, d’autant qu’elles sont en basket, short et tee shirt. Elles la tuent, puis partent rapidement, encore 20 mn et elles se garent non loin du troisième et avant dernier ravitaillement. Scénario inverse, elles prennent un verre, ont l’air très essoufflées et repartent en courant. Si quelqu’un remarque qu’elles arrivent de derrière, il pensera à une envie pressante, les femmes s’éloignant bien entendu plus que les hommes pour ce petit pipi légitime. »

« et au niveau du temps passé ? »

« elles ont calculé le temps nécessaire, presque une heure, et l’endroit où se refondre dans la course, de façon à ce que cela soit très plausible. Elles ont mis autour de 2h10 ce qui est très bien pour un semi marathon. »

« je vois que tu as pensé à tout. Comment font les filles pour penser à tout ? » reprit Jacques

« tu vois, c’est inné chez nous, dit Christelle. »

 

Quelques jours plus tard, l’auteur reçut Christelle et Jacques. Il semblait déridé autant que débridé. « Je suis atteint d’une soif inextinguible que je vais de ce pas étancher en votre compagnie. »

« tu vois, souffla Christelle, ces auteurs ne peuvent vraiment pas parler comme tout le monde »

« les amis, reprit l’auteur, je voudrais vous féliciter tous les deux pour l’arrestation de Vanessa et Arielle. L’enquète a été bien commencée par Jacques et finie par Christelle, c’est donc un succès pour votre couple. Comme vous le savez, elles ont fini par craquer et par avouer le meurtre avec préméditation. Il s’agissait d’une jalousie qui remontait à plusieurs années. On serait dans la vraie vie, et non dans un bouquin, chacune se prenait 5 ans. En tant qu’auteur, je me contente de supprimer les personnages pour les 5 romans suivants. »

 

« Je dois dire que Jacques a vraiment été à la hauteur, poursuit finement Christelle, en coiffant méthodiquement ses longs cheveux. »

« mais, non, c’est toi qui a tout découvert, je pataugeais misérablement » renchérit Jacques.

« Disons que tous les deux on a été des bons ARIEN » conclut Christelle.